S’extasier devant le travail d’un cinéaste « indépendant » en criant sur tous les toits qu’il sort des sentiers battus des formes dominantes, non-conformiste et fier de l’être, serait presque devenu cliché... Et pourtant, Spike Jonze fait partie de ceux-là, son dernier opus, Where the Wild Things Are (Max et les Maximonstres), adapté du livre de Maurice Sendak, en est la preuve.
Le budget et les pressions des financeurs pouvaient réserver au film un tout autre destin, que l’on imagine plus commercial et passe-partout dans sa proposition artistique.
La Warner, chargée de la distribution internationale du film, a misé gros, d’autant plus en cette fin d’année où la sortie française coïncide avec celle d’Avatar, porté par la Fox. Mais l'important succès du film aux USA dès sa sortie le 16 octobre dernier (33 millions de dollars au box-office pour la première semaine d’exploitation) s'est d’emblée présenté comme une valeur sûre.
A l’origine, les studios Universal étaient impliqués dans le projet ayant débuté en 2005, mais qui a ensuite connu des entraves, et un budget de 75 millions plusieurs fois rallongé.
Un film pour enfants ? Des parents rapportent que leurs enfants ont été effrayés, certains ayant quitté la salle.
En France, la majorité des établissements diffusent Max et les Maximonstres en moyenne sur trois séances dans l’après-midi, créneau réservé au jeune public, d’autant plus en période de Noël. Sur ce point, il est vrai que les personnages principaux du film de Jonze, ces maxi-pelluches attendrissantes, ont bénéficié de l’expérience de la Jim Henson Company à l’origine des créatures de Labyrinth, Dark Crystal et des Muppets. L’esthétique générale renvoie même à The Neverending Story (L’histoire sans fin), fleuron d’une forme particulière du cinéma fantasy propre aux années 80. Le film de Wolgang Petersen parlait de la destruction d’un monde imaginaire du fait même de la perte de fantaisie et d’imagination des êtres humains (symbolisée par « le Néant » qui s’abat sur Fantasia) : d’une certaine manière, les monstres déprimés du film de Spike Jonze font échos à ces questions, appartenant de plus à l’univers créatif du jeune Max qui traverse la crise de solitude courante chez les enfants de son âge.
Mais c’est bien les visages des Maximonstres, numériquement intégrés aux costumes géants des acteurs, qui génèrent des effets et une atmosphère étranges pouvant perturber les plus jeunes d’entre nous.
A partir de là, Jonze fait une proposition effectivement très non-conformiste. Le montage est sans concession, avec des rythmes très irréguliers, sans être au service d’un quelconque climax final voué à la résolution de l’intrigue. Car le déroulement narratif est ici complètement libre, sans que l’on puisse y distinguer des segments clairement définis, à l’image de l’esprit d’un garçon de l’âge de Max. La structure du film repose sur ce principe, y compris sur le plan esthétique, puisque la photographie, dans les ocres et sables, travaille aussi sur le flou et l’entrecroisement des images.
Justement, je vais tenter d’être plus clair : Max se dispute avec son entourage familial et décide de s’enfuir ; après avoir navigué par les mers, il aborde sur une île où vivent des Maximonstres, qui représentent en fait des maxi-émotions - dont la solitude, l’amour, l’amitié, etc.- et recherchent un roi, qu’ils trouvent en Max ; ce dernier les aide à construire un nouveau village, et finit un jour par repartir, sans avoir apporté de véritable solution, si ce n’est une belle rencontre. Autrement dit, une fois arrivé sur l’île des Maximonstres, Spike Jonze ne cherche pas l’évolution du récit, avec action-dénouement-épilogue, mais une série de faits, d’épisodes, d’impressions, offrant beaucoup plus de liberté au spectateur qui en fait ce qu’il veut.
Sur l’art vidéographique de Spike Jonze, en particulier pour ses clips, Patrice Blouin évoque la volonté d’atteindre et de chercher constamment à étirer des « motifs d’étonnement » (« Son talent spécifique tient à sa manière de gérer une surprise inaugurale, de la faire durer toute l’étendue d’un clip, en jouant à la fois de rebondissements narratifs mais aussi, et de façon plus singulière, en exploitant ces motifs d’étonnement, précisément comme des motifs, plastiques et décoratifs. », Cahiers du Cinéma, décembre 2009). Ce concept est effectivement au centre de la conception visuelle de la plupart des clips vidéo que nous rencontrons, notamment à travers l’utilisation – parfois à outrance – des ralentis. Mais Spike Jonze redonne ses lettres de noblesse à ce genre d’effets justement parce qu’il les utilise comme centre névralgique de sa vision.
Dans le cas des Maximonstres, le motif d’étonnement serait la rencontre même avec les monstres, chaque nouvelle scène ou image répétant la précédente avec la même densité d’étonnement, au service d'un dynamisme intarissable, constamment renouvelé : c’est cela qui fait de Max et les Maximonstres un grand film sur l’enfance, bien plus qu’un film pour les enfants.
Souvenons-nous aussi de l’implication de Spike Jonze dans la production de Jackass, univers d’adolescents qui cherchent toujours à repousser les frontières de la débilité : la série, et le long métrage, sont constitués de séquences qui ne font que répéter, sous une déclinaison différente, l’étonnement précédent.
Dans ce cadre, le réalisateur de Being John Malkovich (Dans la peau de John Malkovich) et des clips de Björk, est fort de sa trouvaille, exceptionnelle et pertinente, de l'acteur interprétant Max : le jeune Max Records qui est fidèlement parvenu à déceler et interpréter le motif d’étonnement au cœur du film, et le renouvelle avec toujours plus d’entrain, dès sa première apparition.
Une chroniqueuse de Canal + a récemment déclaré que Max et les Maximonstres aurait beaucoup plu à Freud : sans en faire LE film à voir par tous les parents en mal de communication avec leurs enfants, Jonze a surtout le mérite de nous rappeler qu’il est toujours possible de défendre une proposition alternative, en y mettant du sien, et une énergie bien étrangère à tout esprit blasé.
Vidéo-clip Heaven, monté à partir d'extraits de Fully Flared (Spike Jonze, Ty Evans, 2007), film sur le skate selon la Lakai Team. Illustre bien le principe d'étirement des motifs d'étonnement décrits par Blouin, dans ce cas de façon très formelle.
Autres clips : California, Wax, 1995 ; Da Funk, Daft Punk, 1997 ; Weapon of Choice, Fatboy Slim, 2001, avec Christopher Walken ; ... au total, 49 clips vidéo et de nombreux spots publicitaires signés Spike Jonze.
Daft Punk - Da Funk
envoyé par Bourat. -