mardi 10 novembre 2009

"Surveillance" : Jennifer Lynch aux aguets, retour sur Cannes 2008

Critique de Surveillance, pour la première fois présenté à Cannes en 2008, Sélection Officielle, et qui vient de sortir en DVD.
Réalisé par Jennifer Chambers Lynch. USA. 2008. avec : Julia Ormond. Bill Pullman.


« La fille de David Lynch a réalisé ce film » : confronté à Surveillance, c’est d’abord ce que tout le monde se dit. Et c’est vrai que les minutes précédant la projection débordent d’excitation rien qu’à l’idée de renouer avec l’univers lynchien : c’est automatique, on se raccroche au père. Et c’est aussi vrai que l’influence se ressent, encore heureux.
Mais remettons les pendules à l’heure : Surveillance, c’est aussi autre chose. Jennifer et son paternel ne se trouvent pas tout à fait sur la même longueur d’onde. Ils abordent tous deux différentes formes de folie, mais alors que David en exploite les sensations à travers une approche, dirons-nous (pour faire court), plus expérimentale (Inland Empire), sa fille préfère plutôt un retour au genre et à la série B.

Suite à une série de meurtres particulièrement violents, deux enquêteurs tentent de découvrir la vérité au travers de témoignages contradictoires.

Surveillance est un thriller palpitant dont le principal secret est de savoir renouer avec des archétypes issus du cinéma et de la télévision américaine (l’éternelle dualité entre les agents fédéraux du FBI et leurs homologues locaux renvoie directement à la mythologie de la série X-files) tout en maintenant une certaine confusion chez le spectateur qui sent bien que quelque chose est ici bien différent.
Effectivement, à lui seul, le personnage de Bill Pullman (excellent dans le rôle de l’un des deux enquêteurs) suffit à soulever le doute : ses mimiques, sa façon d’incliner légèrement la tête pendant les conversations, et son humour, discret et malsain, teinté de références sexuelles et morbides.
Jennifer Lynch cuisine le spectateur à feux doux, concédant quelques indices par ci par là, mais en gardant toujours pour la fin, ce qui lui permet un renversement de situation magistral : dès lors, c’est précisément à ce niveau que résident tous les bienfaits du film, d’autant plus appréciables à une époque où il est souvent facile de prévoir les épilogues. Ici, le spectateur fait partie de l’exercice.

Les plus mauvais ne sont pas ceux que l’on croit (pour ceux qui veulent en savoir davantage, procurez-vous le DVD).
Le film joue donc admirablement sur les inversions entre ceux qui sont supposés être fous et les autres censés être sérieux, avec au centre la figure de la petite fille (une des témoins du massacre débutant le récit) faisant office de transition, mais qui reste elle-même obscure. Elle est au cœur du dispositif, comme cette macro séquence de confrontation entre tous les personnages sur une route, qui débute par la stupidité de deux shérifs en manque d’action et qui s’achève par un massacre : à lui seul, ce moment de pure maîtrise narrative vaut le détour.

Le film ne cherche pas à construire un discours sur la folie des psychopathes, mais simplement à nous faire profiter de ce qu’elle peut impliquer de plus pervers et manipulateur.
Tourné en Saskatchewan, Surveillance est aussi une sorte de road-movie : les personnages entrent par le bord gauche du cadre, font une pause le temps de vivre leurs pérégrinations dans un coin perdu, et finissent par reprendre la route. Pour poursuivre. Et reproduire ailleurs ce qu’ils viennent d’accomplir sous nos yeux.

De cette façon, l’intrigue pourrait se rejouer éternellement, comme l’a si bien démontré Michael Haneke avec Funny Games : à sa façon, Lynch-fille célèbre l'influence du cinéaste autrichien en se revendiquant de la même veine.

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